'Préparons la descente', dit le capitaine. Il fait rentrer dans la nacelle M Mallet toujours perché dans son filet; puis on serre les baromètres et tous les objets durs qui pourraient nous blesser dans les secousses.
M Bessand s'écrie: 'Mais voilà des mâts de navires à gauche. Nous sommes à la mer.
Des brumes nous l'avaient cachée jusque-là. La mer était partout, à gauche et en face, tandis qu'à notre droite l'Escaut, joint à la Meuse, étendait jusqu'à la mer ses bouches plus vastes qu'un lac.
Il fallait descendre en une minute ou deux.
La corde de la soupape, religieusement enfermée dans un petit sac de toile blanche et placée bien en vue afin qu'elle ne soit touchée par personne, fut déroulée, et M Mallet la tient en main, tandis que le capitaine Jovis cherche au loin une place favorable.
Derrière nous, le tonnerre gronde et aucun oiseau ne suivrait notre course folle.
'Tirez! ' cria Jovis.
Nous passions sur un canal. La nacelle frémit deux fois et s'inclina. Le guide-rope a touché les grands arbres des deux rives.
Mais notre vitesse est telle que la longue corde qui traîne maintenant ne semble pas la ralentir, et nous arrivons, avec une rapidité de boulet, sur une grande ferme, dont les poules, les pigeons, les canards effarés s'envolent dans tous les sens, tandis que les veaux, les chats et les chiens fuient, éperdus, vers la maison.
Il nous reste juste un demi-sac de lest. Jovis le jette; et le Horla légèrement s'envole par-dessus le toit.
'La soupape! ' crie de nouveau le capitaine.
M Mallet se suspend à la corde et nous descendons comme une flèche.
D'un coup de couteau, l'amarre qui retient l'ancre est coupée, nous la traînons derrière nous dans un grand champ de betteraves.
Voici des arbres.
'Attention! Cramponnez-vous! aux têtes!
Nous passons encore dessus; puis une forte secousse nous bouscule. L'ancre a mordu.
'Attention! Tenez-vous bien! Soulevez-vous à la force des poignets. Nous allons toucher.
La nacelle touche en effet. Et puis s'envole de nouveau. Elle retombe encore, rebondit et, enfin, se pose à terre, tandis que le ballon se débat follement, avec des efforts d'agonisant.
Des paysans accouraient, mais n'osaient point approcher. Ils furent longtemps à se décider avant de venir nous délivrer, car on ne peut mettre pied à terre sans que l'aérostat soit presque complètement dégonflé.
Puis, en même temps que les hommes effarés, dont quelques-uns sautaient d'étonnement avec des gestes de sauvages, toutes les vaches qui paissaient sur les dunes venaient à nous, entourant notre ballon d'un cercle étrange et comique de cornes, de gros yeux et de naseaux soufflants.
Avec l'aide des paysans belges, complaisants et hospitaliers, nous avons pu, en peu de temps, empaqueter tout notre matériel et le porter à la gare de Heyst où nous reprenions à huit heures vingt le train pour Paris.
La descente avait eu lieu à trois heures quinze minutes du matin, ne précédant que de quelques secondes la pluie torrentielle et les éclairs aveuglants de l'orage qui nous chassait devant lui.
Nous avons donc pu, grâce au capitaine Jovis, dont mon confrère Paul Ginisty m'avait depuis longtemps raconté la hardiesse, car ils sont tombés ensemble et volontairement en pleine mer, en face de Menton, nous avons donc pu, en une seule nuit, voir, du haut du ciel, le coucher du soleil, le lever de la lune et le retour du jour, et aller de Paris aux bouches de l'Escaut à travers les airs.
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