Rien n'est plus amusant, plus délicat et plus passionnant que la manoeuvre du ballon. C'est un énorme joujou, libre et docile, qui obéit avec une surprenante sensibilité, mais qui est aussi, et avant tout, l'esclave du vent, auquel nous ne commandons pas.

Une pincée de sable, la moitié d'un journal, quelques gouttes d'eau, les os du poulet qu'on vient de manger, jetés au dehors, le font monter brusquement.

Le fleuve ou le bois qu'on traverse, nous soufflant un air humide et froid, le fait descendre de deux cents mètres. Sur les blés mûrs il se maintient, et sur les villes il s'élève.

La terre dort maintenant, ou plutôt l'homme dort sur la terre, car les bêtes réveillées annoncent toujours notre approche. De temps en temps le roulement d'un train nous arrive ou le sifflet de la machine. Sur les lieux habités nous faisons mugir la sirène: et les paysans affolés dans leurs lits doivent se demander en tremblant si c'est l'ange du jugement dernier qui passe.

Mais une odeur de gaz, forte et continue, nous frappe: nous avons rencontré sans doute un courant chaud, et le ballon se gonfle, perdant son sang invisible par le tuyau d'échappement, qu'on nomme appendice et qui se referme de lui-même dès que cesse la dilatation.

Nous montons. La terre déjà ne nous renvoie plus l'écho de nos trompes; nous avons déjà passé six cents mètres. On n'y voit pas assez pour consulter les instruments, on sait seulement que les feuilles de papier de riz tombent sous nous comme des papillons morts, que nous montons toujours, toujours. On ne distingue plus la terre; des brumes légères nous en séparent; et sur nos têtes, le peuple des étoiles scintille.

Mais une lueur naît devant nous, une lueur d'argent qui fait pâlir le ciel; et soudain, comme si elle s'élevait des profondeurs inconnues de l'horizon inférieur, la lune apparaît sur le bord d'un nuage. Elle semble venue d'en bas, tandis que nous la regardons de très haut, accoudés à notre nacelle comme des spectateurs sur un balcon. Elle se dégage luisante et ronde des nuées qui l'enveloppaient, et elle monte au ciel avec lenteur.

La terre n'est plus, la terre est noyée sous les vapeurs laiteuses qui ressemblent à une mer. Nous sommes donc seuls maintenant avec la lune, dans l'immensité, et la lune a l'air d'un ballon qui voyage en face de nous; et notre ballon qui reluit a l'air d'une lune plus grosse que l'autre, d'un monde errant au milieu du ciel, au milieu des astres, dans l'étendue infinie. Nous ne parlons plus, nous ne pensons plus, nous ne vivons plus; nous allons, délicieusement inertes, à travers l'espace. L'air qui nous porte a fait de nous des êtres qui lui ressemblent, des êtres muets, joyeux et fous, grisés par cette envolée prodigieuse, étrangement alertes, bien qu'immobiles. On ne sent plus la chair, on ne sent plus les os, on ne sent plus palpiter le coeur, on est devenu quelque chose d'inexprimable, des oiseaux qui n'ont pas même la peine de battre de l'aile.

Tout souvenir a disparu de nos âmes, tout souci a quitté nos pensées, nous n'avons plus de regrets, de projets, ni d'espérances. Nous regardons, nous sentons, nous jouissons éperdument de ce voyage fantastique; rien que la lune et nous dans le ciel! Nous sommes un monde vagabond, un monde en marche, comme nos soeurs les planètes; et ce petit monde en marche porte cinq hommes qui ont quitté la terre et l'ont déjà presque oubliée. On y voit maintenant comme en plein jour; nous nous regardons surpris de cette clarté, car nous n'avons à regarder que nous et quelques nuages d'argent qui flottent plus bas. Les baromètres indiquent douze cents mètres, puis treize, puis quatorze, puis quinze cents; et les feuilles de papier de riz tombent toujours autour de nous.

Le capitaine Jovis affirme que la lune souvent a fait ainsi s'emballer les aérostats et que le voyage en haut va continuer.

Nous sommes maintenant à deux mille mètres; nous montons encore à deux mille trois cent cinquante mètres, le ballon enfin s'arrête.

Et nous faisons mugir la sirène, surpris qu'on ne nous réponde point des étoiles.

A présent, nous descendons, très vite, sans nous en douter. M. Mallet crie sans cesse: 'Jetez du lest, jetez du lest! ' Et le lest qu'on précipite dans le vide, sable et pierres mêlés, nous revient dans la figure, comme s'il remontait, lancé d'en bas vers les astres, tant est rapide notre chute.

Voici la terre!

Où sommes-nous? Cette pointe en l'air a duré plus de deux heures. Il est minuit passé et nous traversons un grand pays sec, bien cultivé, plein de routes, très peuplé.

Voici une ville, une grande ville à droite, une autre à gauche plus loin. Mais, tout à coup, à la surface du sol, une lumière éclatante, féerique, s'allume et s'éteint, puis elle reparaît, s'efface de nouveau. Jovis, que grise l'espace, s'écrie: 'Regardez, regardez ce phénomène de la lune dans l'eau. On ne peut rien voir de plus beau la nuit.

Rien, en effet, ne peut faire imaginer pareille chose, rien ne peut donner l'idée de l'éclat prodigieux de ces plaques de clarté qui ne sont pas du feu, qui ne semblent pas de reflets, qui naissent brusquement ici ou là et s'éteignent tout aussitôt.

Sur les ruisseaux qui serpentent, ces foyers ardents apparaissent en même temps à chaque détour du cours d'eau; mais comme le ballon passe aussi vite que le vent, à peine a-t-on le temps de les voir.

Nothing is more amusing, more delicate and more exciting than the maneuver of the balloon.
It is an enormous toy, free and docile, that obeys with a surprising sensitivity, but is also, and above everything, the slave of the wind, which we do not command.
A pinch of sand, half of a newspaper, some drops of water, the bones of a chicken that we have just eaten, thrown out, makes it rise up abruptly.
The river or the woods that we cross, blowing on us a humid and cold air, makes it descend some two hundred meters.
Over the mature wheat it remains steady, and over the towns it rises up.
The land sleeps now, or rather man sleeps on the land, because the woken animals still announce our approach.
From time to time the rolling of a train reaches us or the whistle of the machine.
Over the inhabited places we make the siren howl: and the panicked peasants in their beds must ask themselves, trembling, if it is the angel of last judgement that is passing.
But an odor of gas, strong and continuous, hits us: we have encountered without doubt, a warm current, and the balloon swells, losing its invisible blood by the escape tube, that is called appendix and that closes itself again soon as expansion ceases.
We climb.
The land is already not sending back to us anymore the echo of our horns;
we have already passed six hundred meters.
We don't see enough to consult the instruments, you only know the sheets of rice paper fall under us like dead butterflies, that we climb still, still.
We no longer make out anymore the land:
light mists separate us from it;
and above our heads, the people of the stars twinkle.
but a faint light is born before us, a faint light of silver that makes the sky pale;
and suddenly, as if it was rising up from unknown depths of the lower horizon, the moon appears over the edge of a cloud.
It seemed to have come from below, while we watched it from very high, leaning on our elbows on our gondola like spectators on a balcony.
It frees itself gleaming and round from the dense clouds that were enveloping it, and it climbs to the sky with slowness.
The land is no more, the land is drowned under the milky vapors that resemble the sea.
We are then alone now with the moon, in the immensity, and the moon looks like a balloon that voyages in front of us;
and our ballon that shines back to the air seems looks like a moon bigger than the other, of a wandering world in the middle of the sky, in the middle of celestial bodies, in the infinite vastness.
We no longer speak, we no longer think, we no longer live;
we go deliciously inert, across space.
The air that carries us has made of us beings that resemble it, silent beings, joyous and crazy, exhilarated by this amazing flight, strangely alert although immobile.
You no longer feel your flesh, you no longer feel your bones, you no longer feel your heart beat, you have become something indescribable, birds that don't even have the bother of flapping their wings.
All memory had disappeared from our souls, all worry had left our thoughts, we no longer have regrets, projects, nor hopes.
We see, we feel, we enjoy with much emotion this fantastic voyage;
nothing but the moon and us in the sky!
We are wandering world, a world in motion, like our sisters the planets;
and this small world in motion carries five men that have left the ground and already almost forgotten it.
One sees it now like in the middle of the day;
we look at each other surprised at this clarity because we do not have to look at but ourselves and some silvery clouds that float further down.
The barometers indicate twelve hundred meters, then thirteen, then fourteen, then fifteen hundred;
and the sheets of rice paper fall still around us.
Captain Jovis affirms that the moon often made thus shoot up the aerostats and that the upward voyage is going to continue.
We are now at two thousand meters;
we climb still to two thousand three hundred fifty meters, the balloon finally stops.
And we make the foghorn howl, surprised that the stars do not respond to us at all.
At present, we descend, very quickly, without us doubting it.
Monsieur Mallet shouts without stopping: "throw out ballast, throw out ballast!
And the ballast that is hurried into the void, sand and mixed pebbles, comes back into our face, as if it was climbing, thrown from below toward the stars, so rapid is our fall.
There is the land!
Where are we?
This rise in the air lasted more than two hours.
It is past midnight and we cross a large dry land, well-cultivated, full of roads, highly populated.
There is a town/city, a large town/city to the right, another to the left further away.
But suddenly, on the surface of the ground, a light that bursts out, enchanting, lights up and goes out, then it reappears, goes away again.
Jovis, who is exhilarated by the space, exclaims: 'Look, look at the phenomenon of the moon in the water.
You cannot see anything more beautiful at night.
Nothing, in fact, can make one imagine such a thing, nothing can give the idea of the amazing sparkle of the splotches of light that are not of fire, that don't seem like reflections, that are born suddenly here or there and all go out immediately.
Over the streams that snake around, these burning pockets appear at the same time as every change of the course of the water;
but as the balloon passes as quickly as the wind, barely do we have time to see them.
toy
pinch
wheat
whistle
roar
distraught
the angel of the last judgment
se gonfler
swell
papillon
butterfly
light
accoudé
leaning/on elbows
se dégager
emerge
nuée
cloud
noyé
drowned
laiteux
milky
reluir
shine
celestial bodies
inert
grisé
exilerated
surge
throb
take off
ballast
face
otherworldly, enchanting
bright
griser
intoxicate
homes
wind